Les sociétés peuvent choisir entre tenir leur assemblée d’approbation des comptes hors la présence physique de leurs associés ou différer cette tenue au-delà des six mois qui suivent la clôture de l’exercice.
1. Prises sur habilitation de la loi d’urgence sanitaire adoptée il y a peu pour freiner l’épidémie de Covid-19 (Loi 2020-290 du 23-3-2020 : BRDA 7/20 inf. 26), une ordonnance adaptant, par des mesures d’exception, les règles de réunion et de délibération des assemblées générales des groupements de droit privé (sociétés, groupements d’intérêt économique, etc.) (Ord. 2020-321 du 25-3-2020) et une ordonnance allongeant notamment le délai laissé à ces groupements pour approuver leurs comptes annuels (Ord. 2020-318 du 25-3-2020) viennent d’être publiées au Journal officiel.
2. Comme l’autorise la loi d’habilitation précitée, l’ordonnance sur la tenue des assemblées, qui autorise par ailleurs les organes collégiaux des sociétés (conseil d’administration, de surveillance, directoire) à délibérer par conférence téléphonique, visioconférence ou consultation écrite, a un caractère rétroactif: elle s’applique aux assemblées et aux réunions des organes collégiaux tenues depuis le 12 mars 2020 et reste en vigueur jusqu’au 31 juillet 2020, sauf prorogation de ce délai jusqu’à une date fixée par décret et au plus tard le 30 novembre 2020 (art. 11).
Cette rétroactivité permet de valider les assemblées (et les réunions des organes collégiaux) tenues conformément aux dispositions de l’ordonnance depuis le 12 mars. En cas de non-conformité à l’ordonnance d’une assemblée (ou d’une réunion d’un organe) tenue avant la parution du texte au Journal officiel, il reste possible de régulariser la situation par une décision de la prochaine assemblée (ou de la prochaine séance de l’organe) tenue régulièrement, afin d’écarter tout risque de nullité (cf. C. com. art. L 235-3).
3. Les deux ordonnances offrent pour l’essentiel une option aux sociétés commerciales, qui sont soumises en temps normal, sauf les SAS, à l’obligation de faire approuver leurs comptes annuels, on le rappelle, dans les six mois de la clôture de l’exercice :
– recourir, à titre exceptionnel, à des modes alternatifs de tenue de l’assemblée d’approbation des comptes (conférence téléphonique, visioconférence, consultation écrite) ;
– reporter la tenue de l’assemblée au-delà des six mois qui suivent la clôture de l’exercice.
Les SAS sont également concernées : si elles ne sont pas tenues d’approuver leurs comptes dans les six mois de la clôture de l’exercice, elles doivent mettre en paiement les dividendes dans un délai de neuf mois suivant la clôture.
Nous précisons ci-après chaque branche de cette alternative.
Tenir l’assemblée sans réunir les associés
4. L’organe compétent pour convoquer l’assemblée (ou, le cas échéant, le représentant légal de la société agissant sur délégation de cet organe) peut décider que celle-ci se tiendra hors la présence physique des participants (membres de l’assemblée et autres personnes ayant le droit d’y assister : par exemple, commissaires aux comptes) ou par conférence téléphonique ou audiovisuelle (Ord. 2020-321 art. 4, al. 1).
Dans ce cas, les membres de l’assemblée pourront participer ou voter selon les modalités fixées par l’auteur de la convocation (par exemple : envoi d’un pouvoir, vote à distance ou, si l’auteur de la convocation le décide, visioconférence ou recours à des moyens de télécommunication). Les décisions seront alors considérées comme régulièrement prises (art. 4, al. 2).
Les membres de l’assemblée et les autres personnes ayant le droit d’y assister doivent être avisés par tout moyen permettant d’assurer leur information effective de la date et de l’heure de l’assemblée ainsi que des conditions dans lesquelles ils pourront exercer l’ensemble des droits attachés à leur qualité (art. 4, al. 3).
5. Le recours à une conférence téléphonique ou audiovisuelle permettant l’identification des participants à l’assemblée est possible, y compris pour faire approuver les comptes annuels et même en l’absence de clause statutaire l’autorisant ou en présence d’une clause statutaire prévoyant la tenue d’une assemblée.
Les moyens techniques mis en œuvre doivent alors transmettre au moins la voix des participants et satisfaire à des caractéristiques permettant la retransmission continue et simultanée des délibérations (Ord. 2020-321 art. 5), comme c’est le cas pour les assemblées auxquelles, en vertu des statuts, il est déjà possible de participer par visioconférence ou par des moyens de télétransmission permettant l’identification des participants (C. com. art. L 225-107, II et R 225-97 pour les sociétés anonymes et, sur renvoi de l’art. L 226-1, pour les sociétés en commandite par actions ; art. L 223-27, al. 3 et R 223-20-1 pour les SARL).
6. Dans les sociétés autorisées par la loi à prendre les décisions d’assemblée par voie de consultation écrite (cas, notamment, des SARL et des sociétés en nom collectif mais pas des sociétés anonymes), l’auteur de la convocation peut décider de recourir à cette faculté, même pour faire approuver les comptes, sans qu’une clause des statuts ne soit nécessaire à cet effet ni ne puisse s’y opposer (Ord. 2020-321 art. 6).
7. En cas de recours à l’un des modes alternatifs de tenue de l’assemblée ci-dessus alors que tout ou partie des formalités de convocation de l’assemblée ont déjà été accomplies, les membres de l’assemblée doivent être avertis de cette décision par tous moyens permettant d’assurer leur information effective trois jours ouvrés au moins avant la date de l’assemblée, sans préjudice des formalités qui restent à accomplir à la date de la décision (Ord. 2020-321 art. 7, I).
Par dérogation à ce qui précède, les sociétés dont les titres financiers (actions ou autres titres) sont admis aux négociations sur un marché réglementé ou un système multilatéral de négociation doivent procéder à cette information « dès que possible » par voie de communiqué dont la diffusion effective et intégrale est assurée par la société, sans préjudice des formalités qui restent à accomplir à la date de la décision prise par l’organe ou son délégataire (art. 7, II).
Faire approuver les comptes au-delà des six mois après la clôture de l’exercice
8. Mesure phare de l’ordonnance 2020-318, l’allongement du délai donné aux groupements de droit privé pour approuver leurs comptes annuels ou pour convoquer l’assemblée appelée à approuver ces comptes vise essentiellement à permettre aux entreprises dont les travaux d’établissement ou d’audit des comptes étaient en cours lors de la mise en place des mesures de restriction prises par le Gouvernement de bénéficier de quelques mois supplémentaires pour achever ces travaux et faire approuver leurs comptes par les associés dans les meilleures conditions possibles.
9. L’ordonnance réserve cette mesure de faveur aux groupements clôturant leurs comptes entre le 30 septembre 2019 et le 23 juin 2020 (art. 3, II). En sont néanmoins exclus les groupements dont le commissaire aux comptes a émis son rapport sur les comptes avant le 12 mars 2020 (art. 3, I).
10. Aux termes de l’ordonnance, le délai imposé par les textes pour tenir l’assemblée d’approbation des comptes (dans les six mois de la clôture de l’exercice) est prorogé de trois mois (art. 3, I).
Une société commerciale dont l’exercice coïncide avec l’année civile a ainsi jusqu’au 30 septembre 2020 (au lieu du 30 juin) pour faire approuver ses comptes annuels 2019 par l’assemblée.
Ce report de l’assemblée laisse plus de temps à la société pour établir les documents qui seront soumis aux participants, comme les comptes annuels et, pour les sociétés tenues de l’établir, le rapport de gestion.
Faire délibérer les membres des organes collégiaux à distance
11. Comme les assemblées générales, les séances des organes collégiaux d’administration, de surveillance ou de direction peuvent se tenir, y compris pour arrêter les comptes annuels, au moyen d’une conférence téléphonique ou audiovisuelle permettant l’identification de leurs membres et garantissant leur participation effective sans qu’une clause des statuts ou du règlement intérieur soit nécessaire à cet effet ni ne puisse s’y opposer (Ord. 2020-321 art. 8, al. 1 et 3).
Comme pour les assemblées, les moyens techniques mis en œuvre doivent alors transmettre au moins la voix des participants et satisfaire à des caractéristiques techniques permettant la retransmission continue et simultanée des délibérations (art. 8, al. 2).
12. Les décisions, notamment d’arrêté des comptes, prises par les organes collégiaux d’administration, de surveillance ou de direction peuvent aussi être prises par voie de consultation écrite de leurs membres dans des conditions assurant la collégialité de la délibération et ce, sans qu’une clause des statuts ou du règlement intérieur ne soit nécessaire à cet effet ni ne puisse s’y opposer (Ord. 2020-321 art. 9).
Quid si la société maintient la tenue physique de l’assemblée ?
13. Les mesures d’exception présentées ci-dessus sont facultatives et non obligatoires.
Pour autant, toute réunion mettant en présence de manière simultanée plus de 100 personnes en milieu clos ou ouvert est interdite sur le territoire de la République jusqu’au 15 avril 2020 (Décret 2020-293 du 23-3-2020 art. 7).
Une société convoquant plus de 100 personnes à une assemblée appelée à se tenir physiquement serait en infraction avec cette interdiction si elle maintenait cette convocation jusqu’à cette date, laquelle devrait, selon toute vraisemblance, être prorogée.
14. Si une société maintenait sa décision de convoquer jusqu’à 100 personnes à une assemblée « physique », ceux qui s’y rendraient violeraient l’interdiction de circulation énoncée à l’article 3 du décret 2020-293 précité (interdiction qui s’applique jusqu’au 15 avril 2020 mais qui pourrait être prolongée).
En effet, la convocation à une assemblée générale ne figure pas parmi les exceptions admises par ce texte pour se déplacer hors de son domicile. On rappelle que figurent, notamment, au nombre de ces exceptions, les trajets entre le domicile et le ou les lieux d’exercice de l’activité professionnelle, les déplacements professionnels insusceptibles d’être différés et les déplacements résultant d’une convocation émanant d’une juridiction administrative ou de l’autorité judiciaire (Décret 2020-293 art. 3, I-1° et 7°).
15. Les dirigeants sociaux engageraient donc leur responsabilité s’ils maintenaient la décision de réunir l’assemblée. Il n’en irait autrement que si l’assemblée se tenait en un lieu où l’ensemble des participants se trouvent déjà (cas de l’assemblée d’une société de famille réunissant au domicile familial les membres de la famille associés qui s’y trouvent, sous réserve que d’autres participants, tel un commissaire aux comptes, ne soient pas appelés à participer).
© Editions Francis Lefebvre – 2020